Le langage




I. Définitions


Il faut d’abord remarquer la particularité de définir le langage. Les définitions d’idées telles que la religion, le travail, l’art, le désir ou encore la conscience ne posent pas de problèmes logiques mais plutôt étymologiques et polysémiques.

Ici il se trouve que définir le langage ne se fait pas sans sentir l’inconfortable sentiment de tricher. La tricherie serait d’utiliser le langage — comme moyen — afin de sortir — comme fin — de ce même langage l’essence supposée qui ne permet plus de séparer les moyens des fins. Si nous parvenons à une limite ou à un fondement quelconques, c’est ici que le paradoxe peut les faire sentir.

Pourtant la difficulté n’est pas plus grande que pour n’importe quelle autre idée. Et là encore, plusieurs sens se concurrencent :

A. Le langage est une faculté humaine d’exprimer les pensées et de communiquer au moyen d’une ou de plusieurs langues.

B. Le langage est ce système de signes (=langue).

C. Le langage est un usage, une manière par rapport à un contenu.


 Définir par une description non entièrement abstraite des sens ne suffit jamais, ni la simple abstraction, même si la réflexion commande d’abord de faire la synthèse du divers. Mais celle-ci est déjà là, dans le langage même, et encore une fois le langage empêche la résolution.


II. L’histoire de la conception générale du langage


Il est une longue tradition de l’Occident qui conçoit le langage comme l’outil de la pensée.



Quelle différence observez-vous entre l’antiquité et la modernité ?
Que dit un symbole, à l’aide de ces exemples ?
       - la croix ;
       - l’olivier ;
       - le laurier ;
       - le bonnet phrygien ;
       - symbole mathématique.



III. Langage, pensée et choses


 La pensée classique établit un triangle (trop) commode pour expliquer nos trois termes et leurs relations :



A l’opposition de l’horizontal se trouve une unité verticale, l’idée qui à la fois relie la chose et le mot. Elle est générale dans le sens où le sensible (visible d’abord) résulte toujours dans une sensation particulière, d’un mot ou d’une chose.


1. L’idée et la chose


Idée vient du verbe grec voir (είδον), qui conjugué au parfait devient, en grec, savoir. De ce verbe dérive aussi l’idole. Son orthographe nous vient de Platon, pour lequel les Idées sont les réalités extra-sensibles. Chez Aristote, l’είδος (eidos) signifie l’espèce, mot qu’en français nous avons du latin « species », dérivé du verbe voir.
La chose vient du mot latin « causa » (affaire en justice).

La relation qu’entretient l’idée avec la chose est aussi ambiguë en philosophie qu’elle est claire pour l’opinion courante :

- la relation entre chose et idée est une d’imitation ontologique, ou de copie : aussi Platon voit dans l’artiste celui qui reproduit une reproduction, puisque au-delà du monde visible répond un monde intelligible et causal, que l’on atteint grâce à la dialectique (réfutation des opinions pour faire « accoucher les esprits » prisonniers de l’opinion et du monde sensible).

- la relation est une de jugement : les catégories (genres les plus généraux de l’être) permettent, grâce à l’être conçu comme copule et donc dénué de signification propre (« x est y »), de relier une idée générale à une chose particulière.

Dans les deux cas, la relation est celle de l’unique de l’idée (le général) au multiple des choses (particulier), parfaitement articulés malgré la contradiction.


2. L’idée et le mot


Le « mot » est dérivé du latin « muttum » (son) alors employé dans des phrases négatives. Sa relation à l’idée a été considérée principalement par deux courants contradictoires qui ont été actifs dans la philosophie médiévale :

- le nominalisme, ou conceptualisme : les idées générales (que l’on peut attribuer à plusieurs individus différents) n’ont d’existence que dans les mots.

- le réalisme : les idées générales existent réellement.


 Ø  Comparez l’imitation et le jugement plus haut au réalisme et au nominalisme.
Ø  Rappelez-vous de l’étymologie d’« idée ».


3. Le mot et la chose


Sans conteste ils sont tous deux visibles, et au niveau du particulier. Cependant ils ne laissent pas d’avoir de différences.


 L’on considère deux courants principaux :

- le mot est motivé par la nature de la chose : approche mise en œuvre, avec son opposé, par Platon : selon lui les premiers mots (écrits) étaient motivés selon les caractères physiques de la chose qu’ils représentaient, puis ont pris leur indépendance et ont changé de formes. Beaucoup de poètes aussi sont sensibles à la forme/son du mot employé : par exemple le « jour » a une sonorité sombre, la « nuit » claire.

- le mot n’a aucune motivation de nature, il est conventionnel. Position qui explique aussi la diversité des langues, elle postule que le mot n’a d’autre relation avec la chose que l’idée qu’il véhicule.


4. La linguistique de Saussure


 Ø  Comparez le signe au symbole.
Ø  A quelle division ci-dessus (1, 2 ou 3) ce paragraphe permet-il au mieux de répondre ?


III. Lecture


Le premier langage de l’homme, le langage le plus universel, le plus énergique, et le seul dont il eut besoin, avant qu’il fallût persuader les hommes assemblés, est le cri de la nature. Comme ce cri n’était arraché que par une sorte d’instinct dans les occasions pressantes, pour implorer du secours dans les grands dangers, ou du soulagement dans les maux violents, il n’était pas d’un grand usage dans le cours ordinaire de la vie, où règnent des sentiments plus modérés. Quand les idées des hommes commencèrent à s’étendre et à se multiplier, et qu’il s’établit entre eux une communication plus étroite, ils cherchèrent des signes plus nombreux et un langage plus étendu ; ils multiplièrent les inflexions de la voix, et y joignirent les gestes qui, par leur nature, sont plus expressifs, et dont le sens dépend moins d’une détermination antérieure. Ils exprimaient donc les objets visibles et mobiles par des gestes, et ceux qui frappent l’ouïe par des sons imitatifs : mais comme le geste n’indique guère que des objets présents, ou faciles à décrire, et les actions visibles ; qu’il n’est pas d’un usage universel, puisque l’obscurité ou l’interposition d’un corps le rendent inutile, et qu’il exige l’attention plutôt qu’il ne l’excite, on s’avisa enfin de lui substituer les articulations de la voix, qui, sans avoir le même rapport avec certaines idées, sont plus propres à les représenter toutes, comme signes institués ; substitution qui ne put se faire que d’un commun consentement, et d’une manière assez difficile à pratiquer pour les hommes dont les organes grossiers n’avaient encore aucun exercice, et plus difficile encore à concevoir pour elle-même, puisque cet accord unanime dut être motivé, et que la parole paraît avoir été fort nécessaire, pour établir l’usage de la parole.
Rousseau, Essai sur l’origine des langues, 1781


Chacun de nous a sa manière d’aimer et de haïr et cet amour, cette haine, reflètent sa personnalité tout entière. Cependant le langage désigne ces états par les mêmes mots chez tous les hommes ; aussi n’a-t-il pu fixer que l’aspect objectif et impersonnel de l’amour, de la haine, et des mille sentiments qui agitent l’âme. Nous jugeons du talent d’un romancier à la puissance avec laquelle il tire du domaine public, où le langage les avait ainsi fait descendre, des sentiments et des idées auxquels il essaie de rendre, par une multiplicité de détails qui se juxtaposent, leur primitive et vivante individualité. Mais de même qu’on pourra intercaler indéfiniment des points entre deux positions d’un mobile sans jamais combler l’espace parcouru, ainsi, par cela seul que nous parlons, par cela seul que nous associons des idées les unes aux autres et que ces idées se juxtaposent au lieu de se pénétrer, nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme ressent : la pensée demeure incommensurable avec le langage.
Bergson


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