La conscience



I. Définition et caractères de la conscience


1. Définition en guise d’introduction


« Organisation du psychisme de l’homme qui, en lui permettant d’avoir connaissance de ses états, de ses actes et de leur valeur morale, lui permet de se sentir exister, d’être présent à lui-même. » (atilf)

On distingue deux points de vue :

1. La conscience en tant qu’elle permet de connaître

La conscience du point de vue de son fonctionnement, de ses différents niveaux ;
       La conscience du point de vue de son objet (consc. de soi, de classe…)

2. La conscience en tant qu’elle juge la moralité de ce qu’elle connaît (consc. morale)
      
La conscience morale du point de vue de sa qualité ;
       La conscience morale du point de vue de son fonctionnement, en tant qu’entité personnelle, comme détachée de soi et personnifiée, que l’on interroge ou interpelle.

Surtout pour 1, sa grande difficulté est que contrairement à ce qui est perceptible, directement ou non, elle n’est pas mesurable en termes de nombres (non-quantifiable) ni même d’idée précise (difficilement qualifiable), puisqu’elle implique, entre autres choses, une impression vaguement ressentie : outre de nommer les couleurs, par exemple, les qualia en général sont difficilement expressives ; si la distinction (rouge – bleu, etc.) est simple, en elles-mêmes cela ne l’est plus. Ainsi les philosophes se sont heurtés à la conscience depuis que son étude, moderne surtout, est au jour. Comme la grammaire ou la logique pour le langage naturel (à distinguer d’un code construit à partir de celui-là), elle implique une réflexion, un reflet qui nous renvoie tautologiquement (A=A) notre image, l’image de notre pensée : la conscience est une mise en abyme où nous nous détachons de ce que nous voyons, faisons, disons, etc. pour penser que nous voyons, faisons, disons, etc. En outre, elle comprend la représentation immédiate — une idée ou l’image d’une chose par exemple, — et met en jeu autrui et l’expérience extérieure. Et comme la grammaire, on peut la comparer, par analogie, au penser, pronominal cette fois.
Dans son second sens, la conscience est morale. Cette acception est liée à la première, puisqu’une personne non responsable peut être qualifiée d’inconsciente, d’autant plus que cette conscience est qualifiée de bonne ou mauvaise par rapport à la connaissance du bien et du mal (déontologie).


2. Caractères ou postulats


Il faut bien comprendre que pour la conscience, ainsi que beaucoup d’autres choses, ces caractères sont liés, se superposent quelquefois même entièrement, et que c’est le point de vue qui va reconstruire une notion moins floue de conscience.

La conscience est d’abord une présence continuelle : elle accompagne donc les représentations (elle s’oppose d’abord à la présentation, liée à la perception), les sentiments. Dans cette perspective elle s’oppose ensuite à l’inconscience (celle des psychanalystes mais aussi le sommeil profond, où l’on est absent à soi).


 La conscience serait immédiate : sans pensée elle accompagne toute perception, toute imagination, toute pensée. Elle s’oppose néanmoins, et désormais, à l’instinct automatique selon le réel.


 La conscience est intérieure, et suppose, ou non, l’extérieur comme chose qu’elle peut redoubler : on distingue alors conscience d’objet et conscience de soi.


 La conscience est libre, moralement comme intellectuellement.


 La conscience est individuelle, elle permet et délimite la construction de l’identité personnelle, faisant une synthèse du donné.




 
II. Esquisse de l’histoire du mot


Du latin class. conscientia (proprement « connaissance en commun », « avec [soi] ») « claire connaissance qu’on a au fond de soi-même, sentiment intime, sentiment, conscience » [notion de bien et de mal].


1. Conscience morale


ca 1165 « sentiment intérieur qui juge ce qui est bien et ce qui est mal »
1721 conscience publique « ensemble des opinions morales d’une société » (Montesquieu)
1673 « la poitrine considérée comme siège de la conscience » mettre la main à la conscience « s’examiner de bonne foi » (Molière, Le Malade Imaginaire, I, 5).


2. Conscience psychologique


1676 philos. (Malebranche ds Trév. 1704 : les philosophes entendent par la conscience, le sentiment intérieur qu’on a d’une chose dont on ne peut former d’idée claire et distincte)
1762 « sentiment que l’être humain a de ses états et de ses actes » (J.-J. Rousseau, Emile).


III. Histoire de la notion


1. Les grecs



Platon, dans le Sophiste (263e3), nous écrit :

Donc « pensée » (dianoia*, pensée discursive) et discours, c’est la même chose ; sauf que d’un côté le dialogue intérieur de l’âme avec elle-même sans la voix, c’est cela même qui s’est trouvé appelé par nous « pensée ».

*Pensée qu’exprime un mot ou un texte, sens d’un mot ou d’un passage (Bailly).


Par la suite, les stoïciens vont exhorter au détachement du monde, de ses désirs et passions. Par exemple, Marc Aurèle :



2. L’époque moderne


La conscience que nous étudions ici et que nous connaissons par notre langue n’est apparue que tardivement, et a historiquement accompagné la naissance du sujet moderne. Revenons-y un instant :

Subjectus : d’abord sujet-soumis (à dieu, au roi, etc.) (XIIe siècle), puis « ce dont on parle » (XIVe siècle), enfin le support d’une action, d’un changement. Ayant mêlé une cuillérée d’Aristote (chez qui le lexique n’avait aucune parenté entre substance et sujet) à une grande conception humaine de l’être (du « sujet-soumis » à son antithèse), ce dernier sens prévaut encore.

Ce sera Descartes qui fera l’épure, qui cimentera cette vision du sujet construite vers la fin Moyen Âge. Ce penseur fera décanter de l’homme son aspect animal, participant de la substance étendue (la matière), et son aspect divin, participant à la substance pensante : comme Platon, il divise deux mondes, mais contrairement à lui, il prend pour référence, pour « sujet », le sujet même. La pensée y est fondamentale (penser vient du mot pensare, peser, évaluer).



V. Quelques philosophes et courants


1. Principaux courants et doctrines philosophiques


Le matérialisme est une doctrine qui rejette l’existence d’un principe spirituel et attribuent à la réalité à la matière ou ses épiphénomène (le spirituel n’est donc principe).

Le dualisme postule l’existence de deux principes irréductibles l’un à l’autre. Par exemple, l’esprit et le corps, la pensée et l’étendue, etc. Le lien entre les deux devient fondamental, et souvent problématique.

L’épiphénoménalisme : le cerveau a une influence sur l’esprit, mais non l’inverse.

Le double aspect : le neurologique ou psychologique ne sont qu’une question d’aspect, deux versions d’une même entité (Spinoza dira substance). En fonction du point de vue, l’on peut voir la conscience, l’âme, l’esprit, etc. en suivant l’aspect matériel (extérieur) ou spirituel (intérieur, introspection).


2. Quelques penseurs


Descartes (1596-1650) : avec lui s’amorce cette étude, puisqu’il met en jeu l’aptitude de la pensée (du langage ?) à se décadrer de la perception première, de l’imagination, de la pensée (cogito). Avec cette dernière il se sépare de l’objet de pensée (cogitatum), non dans un monde d’images encore lié à la perception, mais dans un domaine plus vaste qui va de : « je vois ceci » à « je pense que je vois ceci ».


David Hume (1711-1776) : à l’envers du rationalisme de Descartes, Hume postule que toute connaissance provient du sensible, des impressions auxquelles doivent correspondre les idées. Pour lui, l’introspection permet de prendre conscience, non pas d’être conscience.

Kant (1724-1804) : à l’opposé de Descartes, mais changeant de point de vue par rapport à Hume, la conscience pour Kant est liée au monde objectal : elle permet, au plus haut point, d’unifier les représentations auxquelles elle est relative. Elle est la connaissance des objets en tant que le moi fait cette expérience.


VI. Elargissement


Pourrions-nous voir la conscience par rapport à la grammaire ? Voici quelques éléments pour ce regard.

1. Le nom (ou substantif) s’attribue à la fois selon une idée générale — un signifié, — et selon une extension — des référents, ou existants. Le nom ainsi exprime une essence et des existences.

Le nom commun s’attribue aux êtres (animés et inanimés) considérés comme classe, et en cela représente l’essence de plusieurs existants (suppôts supposés). On dit que le nom suppose pour. On parlera aussi de substantif, de substance.

Le nom propre s’attribue de manière biunivoque (relative) à la personne, c’est-à-dire que signifié et extension se superposent : le nom vaut pour un seul référent.

2. Le pronom (pro nomen), à la différence du nom, n’exprime que l’existence, et non plus l’essence (l’adjectif n’exprime que l’essence sans existence : il ne peut être sans sujet – substance(note 1)).

Au nom commun répondent pronoms personnels (il, elle, nous, vous, ils, elles ; se, nous, vous, se ; le, la, lui, nous, vous, les, leur ; lui, elle, nous, vous, eux, elles) et adverbiaux (en, y).

Au nom propre ne répondent que pronoms personnels de première et seconde personne du singulier (je, tu ; me, te ; me, te ; moi ; toi). (note 2)

Ainsi l’enfant apprendra d’abord son propre prénom (nom propre), et référera ainsi à lui-même avant les pronoms ; par la suite il apprendra le système de ces derniers, dans lesquels sont impliqués le « moi », le « je » et enfin le « soi. » Sont-ils le symbole, la conséquence ou la cause de la conscience ?



VII. Réflexions





 [Les définitions sont en partie tirées du TLFi (http://atilf.atilf.fr/), auquel nous adressons nos remerciements]


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