I. Définition et
implications du désir
L’homme, dans la philosophie qui caractérise l’occident,
tentant de se définir recourt le plus souvent à la succession de formules
uniques qui ne tiennent pas toujours du point de vue duquel on le voit. Aussi
ne l’a-t-on pas surpris, cherchant cette quiddité, se dire politique, doté d’une
âme, du désir, ou même selon son corps seul, c’est-à-dire bipède.
Le « désir » est un déverbal qui vient
du verbe désirer, en latin « desiderare
», désirer, regretter l’absence de quelqu’un. Des éléments désidératifs, par
exemples des suffixes, ou des optatifs, montrent l’importance dans les langues
du désir pour l’homme, certaines fois autant que la nécessité (« ce qui ne
cède pas ») ou la possibilité. Il est, en français, un verbe à la fois
intransitif, — laissant dans le flou les objets (placés devant) possibles et ne
retenant que la faculté du sujet grammatical ou philosophique, — et transitif.
Du désir nous retiendrons ces deux
significations :
1. Mouvement instinctif qui traduit chez l’homme
la prise de conscience d’un manque ;
2. Tendance consciente de l’être vers un objet ou un acte déterminé qui comble une aspiration profonde (bonne ou
mauvaise) de l’âme, du cœur ou de l’esprit.
Par ailleurs, le désir, considéré cette fois
comme une faculté (ou partie de l’âme), s’oppose au besoin et à la volonté.
II. Une faculté
1. Désir et besoin
Le besoin dériverait de la besogne, et celle-ci, encore hypothétiquement, viendrait d’un mot
signifiant se soucier de.
Lui aussi renvoie à la conscience du manque, mais le fait de manière plus faible que le
désir, puisqu’il y ajoute la réalité de ce
manque. Aussi le besoin se trouve être bien plus transcendant (situé
au-delà de notre référence, le sujet) et le désir simplement immanent à l’homme.
On peut ainsi suivre Epicure (341-270 av. J.-C.), qui va distinguer entre les
« désirs » (ensemble désir et besoins, les grecs ne recoupant pas
notre différence de la même manière) :
Alors que le besoin, par sa nature, connaît ses
limites, le désir n’a de limites non
celles du corps mais celles de « l’âme », ou de toutes les idées que
l’on peut se faire.
2. Désir et volonté
Contre le besoin, le désir et la volonté se
retrouvent dans le même champ. En quoi restent-ils distincts ?
La tradition nous a légué que l’âme est d’abord
– et très anciennement – divisée en deux parties : rationnelle et
irrationnelle. Dans la volonté, la détermination de quelque chose se fait selon
des raisons, alors que pour le désir cet avenant n’est pas à la définition.
III. Désirs de...
Un second point de vue du désir est de l’éclairer
par l’objet, l’autre être désirant ou même un autre désir.
1. …l’objet
Premièrement l’objet signifie quelque chose de
visible, placé devant soi. Il est l’approche la plus simple du désir. En
suivant cette conception un sujet désirant simplement s’y opposerait, et l’érigerait
en désiré. En réalité, l’homme désirant, outre de simplement s’opposer à l’objet,
le constitue, le construit par son désir, que cet objet soit
« consommable », destructible (dans ce cas la répétition infinie
suivra), ou non. Aussi Stendhal écrit :
L’objet le plus souvent est donc désiré non en
soi mais pour quelque effet qui le surpasse. Ce dernier peut être, par exemple,
le plaisir. Platon aura comparé l’âme
désirante (opposée à l’âme rationnelle et à l’âme volitive/courageuse) au
tonneau percé (Danaïdes dans la mythologie), image conservée dans la tradition
philosophique occidentale pour y attacher les attributs négatifs de la
démesure.
L’opinion de l’adversaire de Socrate prétend
alors que cet homme tempérant ne goûte plus aucun plaisir, vit comme une
pierre. Socrate alors montre, contre l’opinion plus vaste que le plaisir serait
le bon, le fossé qui les
sépare : par exemple, à la guerre, les lâches (mauvais) montrent plus de
joie (plaisir) lorsque l’ennemi se retire. Calliclès, qui prétendait que pâtir
de la faim lorsqu’on peut se nourrir est vivre heureux, aura déjà dû concéder
qu’avoir la gale et pouvoir se gratter serait de même.
Au XIXe siècle, Schopenhauer reprend l’idée
appliquée aux besoins du corps et l’applique à tout désir : l’homme
désirant ne peut connaître le repos et doit vivre dans l’abîme que creuse
devant lui son désir.
Cette assertion n’est pas sans rappeler le
Bouddhisme :
2. Le désir et l’autre
a. L’identification
à l’autre
Le désir ne se conçoit ni seulement par rapport
à l’objet, ni par rapport à soi-même (cristallisation par rapport à
l’imaginaire), mais s’étend, par sa nature souvent, à l’autre homme qui sait
désirer.
Spinoza, au livre III de l’Ethique, conçoit le
désir sous le point de vue du désirant, l’homme en l’occurrence :
On voit bien que le désir est commun à tout
homme puisqu’il participe de sa définition. Le livre III est intitulé « De
l’Origine et de la Nature des Passions », et l’on voit comment, par
rapport aux passions, l’objet passe au second plan : l’homme en fait
n’accorde de la valeur non seulement selon les qualités propres d’un objet
(qualités en soi), mais selon la valeur que lui attribue sa « tribu »
et selon des sentiments par rapport à l’autre. Pour nombre d’entre elles ces passions sont celles qui touchent l’autre,
par exemple la jalousie ou l’émulation (« L’émulation est le désir d’un
certain objet, lequel se forme en nous quand nous imaginons ce même désir dans
les autres. »)
Il suffit donc que nous imaginions le désir d’autrui. Le centre de gravité de l’objet se
déplace de ce dernier à nous-même, puis à l’autre auquel on attribue le
plaisir ; la rivalité devient le cœur motivant du désir. On peut
réintroduire ici la distinction avec le besoin du corps, qui lui pense plutôt
l’objet même.
Bien évidemment, de nombreuses passions ne
considèrent pas un objet séparé, mais sont dirigées directement sur l’autre,
par exemple la haine, la bienveillance, la politesse, etc.
Dans tous les cas, ceci est une identification
que l’homme fait par rapport à son semblable, une « mimésis ». On rappellera qu’Aristote a à la fois considéré
l’homme comme particulièrement apte à cette imitation, et que le premier moteur
est objet de pur désir et qu’il doit donc désirer par lui-même ;
maintenant, la relation est triangulaire, l’objet n’étant valorisé que selon un
troisième terme, l’autre.
b.
Désirs du désir de l’autre
Le désir d’imiter le désir de l’autre se fonde
peut-être dans un désir d’être soi-même désiré, soi-même jalousé, quelquefois
même haï !
Hegel (XIXe siècle) ainsi considère que l’être
humain veut se faire valoriser par l’autre, en être reconnu. Encore une fois le
besoin se distingue du désir, puisqu’un besoin ignore l’autre, alors qu’un
désir, loin de la « nature », exprime une relation sociale.
Bien plus, chez Hegel le désir sépare, entre
autres, la conscience d’objet et la conscience de soi, fondée par la notion
d’alter ego, altérité similaire à laquelle le soi s’accroche ; ils se
reconnaissent simultanément. Aussi l’objet chez Hegel, et la conscience de
l’objet, doivent être dépassés pour parvenir à la conscience vivante.
Le siècle d’avant, Rousseau considérait de
manière négative cette thèse :
Après Hegel aussi, Nietzsche va juger ce désir
de reconnaissance comme un désir d’esclave, car le maître (homme libre,
seigneur, noble, etc.) crée ses propres valeurs, définissant par là sa
vanité :
Aussi croire comme Hegel que le désir est celui
de l’autre dénonce une mentalité d’esclave. Or ce dernier n’est pas l’essence
de l’homme, mais ne reflète que ce que Rousseau appela « amour-propre », — amour de soi
selon ce que les autres pensent de nous, — corruption de « l’amour de soi » de l’homme
sauvage : celui-là naît de la comparaison de soi à l’autre, celui-ci de la
satisfaction des besoins.
Tous ces débats montrent surtout que la pensée
sociale, qui dès l’âge contemporain (début du XIXe siècle) s’est vue monter en
puissance, a pris la place de la raison, celle de Socrate, celle de
Descartes : eux furent maîtres car l’opinion d’eux-mêmes était éclairée
par la raison.
3. Désir de savoir
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